Malgré des mesures ambitieuses mises en œuvre depuis 2019, les téléphones portables continuent de proliférer dans les prisons françaises. Leur présence massive permet aux détenus de poursuivre des activités criminelles, soulignant l’inefficacité des dispositifs actuels de contrôle et de brouillage.
Une économie parallèle alimentée par les portables
Les chiffres témoignent d’une réalité préoccupante : en 2023, 53 000 téléphones ont été saisis à l’échelle nationale, et ce nombre reste impressionnant en 2024, avec 40 000 saisies rapportées par le ministère de la Justice. Cependant, ces données ne reflètent qu’une partie du problème. Selon Wilfried Fonck, du syndicat UFAP-UNSA dans Le Monde, le nombre réel de téléphones circulant en prison pourrait dépasser 160 000, soit bien plus que le nombre de détenus en France.
Les téléphones portables, devenus une monnaie d’échange en détention, se négocient à prix d’or, avec des tarifs allant jusqu’à 1 500 euros par appareil selon les modèles. Ce commerce illicite génère une violence accrue entre détenus et favorise la corruption des agents pénitentiaires. Plusieurs affaires récentes ont d’ailleurs impliqué des surveillants accusés de participer à ces trafics, parfois en échange de rémunérations importantes.
Des moyens sophistiqués pour contourner les contrôles
Les techniques pour introduire des téléphones en prison ne cessent d’évoluer. Aux classiques projections manuelles se sont ajoutés les drones, capables de livrer des appareils et d’autres marchandises à des distances considérables. À la maison d’arrêt d’Angers, par exemple, plus de 500 téléphones ont été saisis en 2024, un chiffre supérieur au nombre de détenus incarcérés.
Les objets dissimulés dans des colis alimentaires ou même des produits improbables, comme des cartons de fromage râpé, témoignent de l’ingéniosité des trafiquants. Ces pratiques rendent la tâche des surveillants particulièrement ardue, surtout dans un contexte de sous-effectifs généralisés et de surpopulation carcérale.
Les limites des mesures de lutte : brouillage et cabines téléphoniques
Depuis 2019, plusieurs initiatives ont été mises en place pour lutter contre ce phénomène. Parmi elles, l’installation de cabines téléphoniques dans toutes les cellules devait permettre aux détenus d’effectuer des appels contrôlés. Cependant, ces cabines sont peu utilisées en raison de coûts jugés excessifs par les prisonniers (jusqu’à 0,18 euro la minute pour un appel vers un mobile).
Le brouillage des réseaux constitue une autre stratégie, mais son efficacité reste limitée. Si 20 établissements étaient équipés de ces dispositifs en 2024, leur déploiement complet demeure lent, et les résultats sont inégaux. Certains systèmes ne fonctionnent qu’avec certains opérateurs, ce qui pousse les détenus à s’adapter rapidement en changeant de fournisseur. Par ailleurs, le brouillage suscite des tensions, provoquant des mouvements de protestation parmi les détenus, comme à Lille-Sequedin ou Tarascon.
Une bataille technologique sans fin
Malgré les efforts pour endiguer la prolifération des téléphones, les détenus semblent toujours avoir une longueur d’avance. Ils utilisent des amplificateurs pour contourner les brouillages et continuent de trouver des moyens innovants pour introduire des appareils en prison. Cette « course à l’échalote » met en lumière les failles d’un système dépassé par les avancées technologiques des trafiquants.
Pour Alexandre Bouquet, directeur du centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, seul un investissement massif dans des technologies de pointe pourrait permettre de reprendre le contrôle. Pourtant, cette solution suscite des doutes chez certains observateurs, qui estiment que les coûts exorbitants de ces dispositifs sont disproportionnés par rapport à leur efficacité.